Let us play ▬ Orphan

L'obscurité commençait à lui monter à la tête. Une odeur d'humidité et de pourriture régnait dans ces lieux lugubres. Il y avait même du sang frais par terre : l'angoisse. La porte de sa cellule était close et Seth était au fond de la pièce, assit à même le sol, les poignets enchaînés au mur. Position plus que désagréable puisque cela faisait des heures qu'il était ainsi, les bras en l'air, à attendre que quelqu'un le sorte de là. Au début, il avait donné de la voix, hurlé et insulté pour que l'on vienne le délivrer, mais seul l'écho de ses cris lui répondait, alors il avait fini par laisser tomber, persuadé qu'on l'avait complètement oublié. D'ailleurs, il avait trouvé une occupation bien plus intéressante que celle d'en vouloir au monde entier ; virer les rats en leur donnant des coups de pieds. Ces derniers avaient en effet tendance à s'aventurer un peu trop proche. L'un d'eux avait même tenté de goûter la jambe du jeune homme. Le pauvre animal avait maintenant le crâne explosé contre le mur et son sang glissait en silence sur le sol.

Il poussa un long soupire, conscient qu'il n'aurait jamais dû agir ainsi durant le premier round des combats. C'était plus fort que lui : insulter Orphan était une distraction qui offrait beaucoup de plaisir, mais les conséquences étaient lourdes. Il ignorait encore que ses écarts allaient lui couter cher. Très cher. « Putain, faites-moi sortir de là ! » Il avait hurlé, mais encore une fois, l'écho avait résonné dans le silence de mort qui régnait avant de se dissiper. Du moins, c'est ce qu'il pensait, jusqu'à ce qu'un bruit, lointain, lui indique que quelqu'un descendait les marches. Il commença à s'agiter, à tendre légèrement ses chaînes, pressé qu'on le délivre enfin. Les bruits de pas se rapprochèrent et, instinctivement, il commença à faire la gueule. Un mauvais pressentiment sans doute. Une boule au ventre. C'était comme s'il savait ce qui l'attendait. La porte s'ouvrit enfin. « Qu'est-ce que... » Il resta sans voix.

Orphan, son air guilleret, son grand sourire. C'était à vrai dire terrifiant. Juste terrifiant. Parce qu'affreusement faux. D'ailleurs, Seth le regardait avec des yeux ronds, dans l'attente de ce qui allait arriver. Il ne répondit pas au salut si enthousiaste de son bourreau et préféra se taire. Enfin, jusqu'à ce qu'il voit la batte. Sa batte. Dans la main de ce monstre. Si menaçant. Il sentit ses tripes se nouer et sa gorge se serrer. Il savait ce qu'il allait se passer, il le savait ! Mais il ne pouvait rien faire pour l'en empêcher. D'ailleurs, il ne pouvait absolument rien faire, dans tous les cas. Il était attaché comme ce clébard d'Ezechiel, il était aussi impuissant que Laëstiel. Si Orphan ne le tuait pas, il se jura de le lui faire payer tout ça. Le pauvre garçon était pourtant bien loin s'imaginer à quel point le directeur allait se montrer cruel avec lui. Ignoble. Répugnant. Quand il s'approcha, Seth s'agita, avec le minuscule espoir de briser ses chaînes et de réussir à se tirer. « Hé, qu'est-ce que tu fous ! » Quand il lui attrapa le menton, le garçon eut le réflexe intelligent de plaquer sa langue contre son palais et de serrer les dents, pour éviter de se faire exploser la mâchoire.

Excellent réflexe d'ailleurs, puisque le coup partit brutalement, violemment. Un grand choc. Seth devint même sourd durant quelques secondes, n'entendant de la phrase d'Orphan qu'une petite partie. Le sang lui battait aux tempes, le coup résonnait encore dans son pauvre crâne. La joue du jeune homme était quasiment violette maintenant. Il avait chaud, sa tête le faisait souffrir, mais après un hoquet de douleur, il jeta un coup d’œil. Enfin, plus ou moins. En effet, sa joue avait déjà gonflée et il gardait l'un de ses yeux fermés. « Ce qui va... suivre... » Il cracha aux pieds d'Orphan.« Putain... T'es taré... Laisse-moi partir espèce d'enfoiré ! » Il tira brutalement sur ses chaînes.

Les hurlements de Seth résonnaient dans le cachot. Chaque cri, chaque éclat de voix, chaque gémissement venait du plus profond de son gosier, pauvre gamin apeuré. Enfin, peur, pas exactement. Disons qu'il n'arrivait pas à avoir peur tant il avait mal. Ses pieds, mon dieu, ses pieds, il ne les sentait même plus. Ses orteils devaient être bouillants, mais il ne sentait qu'une douleur glacée, tranchante. Il ravala sa salive, elle avait un affreux goût de sang. « Salaud ! » Sa voix était puissante. Nouveau coup. Une gifle. « Enculé ! » Une autre. Encore. Insupportable. Infernale. Il aurait voulu se fracasser le crâne contre le mur pour mettre fin à tout ça. Tout terminer. « Arrête putain ! Arrête ! » Sa voix se brisa en même temps que sa batte. Mais il n'eut pas le temps de digérer cette perte que déjà Orphan détruisait son objet le plus précieux, ou presque. « Oh putain... » Il aurait pu se mettre à chialer, il aurait du d'ailleurs. Pourtant, seule la colère lui broyait littéralement l'estomac. Les poumons en feu, il serra les dents quand il lui prit le cou et lui cracha à la figure, se mettant à se débattre dans tous les sens, tirant sur ses chaînes jusqu'à se scier la chair des poignets. « J'vais te buter putain, je vais te défoncer ! »

Il sentait les doigts du directeur pénétrer dans sa chair et serrait les dents pour s'empêcher de gémir. Il refusait de se plier face à ce monstre qui lui avait pris sa liberté et qui était en train de lui arracher ce qui lui restait de vie, lentement, doucement, douloureusement. Seth eut le cœur au bord des lèvres quand le poing du directeur lui déchira l'estomac. D'ailleurs, il s'immobilisa quand la hache passa sous son menton et cessa de respirer quand Orphan lui sorti les photos. Ses photos. « N'y touche pas ! » Il croisa le regard du brun et compris que, quoiqu'il dise ou fasse, plus rien n'avait d'importance. Tout était foutu. « Non ! » Plainte déchirante du gamin impuissant face à ses souvenirs en morceaux. Les débris des photos tombèrent lentement au sol et Seth les suivi du regard. Pour la première fois depuis des années, il eut envie de pleurer. Pourtant, il se mit à hurler. D'une voix puissante, un cri de rage. « Je te jure... Je vais te... Je te tuerai... » Une petite copine ? Il sursauta et releva les yeux vers son bourreau. « Quoi ?! » Il vit Laëstiel et son cœur loupa un battement. « NON, laisse-la en dehors de ça ! » Un ordre, une demande, une supplication, qu'importe. Il tira sur ses chaînes, au bord des larmes, sans pour autant réussir à chialer.

Elle pleurait, putain, Laëstiel pleurait. Il espérait qu'Orphan ne lui ait rien fait. Oui, il était comme Seth, lui seul (où Mykaël à la rigueur) pouvait faire du mal à la rouquine. Il lui rendit son regard, désolé pour elle. Il le lui avait pourtant dit, non, qu'il ne fallait pas s'attacher à lui. « T'es qu'une pourriture Orphan... » Son pauvre corps était parcouru de tremblements et de sursauts sous le coup de la douleur, mais il les ignorait, son attention étant portée sur la demoiselle. Et, oui, ses yeux étaient grands ouverts, choqués devant la scène qui se déroulait sous ses yeux. « Arrête ça ! » Il essayait de donner de la voix pour le distraire. « Tu vas la tuer putain ! » Plus elle hurlait et plus Seth s'époumonait à essayer de résonner le directeur, mais tout cela lui semblait si vain, si désespéré, qu'il cessa de parler et frappa violemment son crâne contre le mur qui était dans son dos. Si hurler ne l'empêchait pas de commetre un meurtre (car s'en était presque un) sous ses yeux, alors, il essaierait autre chose. « Ton problème, c'est que tu fais erreur Orphan. » Sourire arrogant, tordu de douleur. « Je ne l'aime pas, cette dawel. » Il tira sur ses poignets et sentit un filet de sang glisser le long de son bras. « Anessa finira par l'apprendre. Tu vas payer Orphan. Tu vas payer pour tout ça. » Il secoua négativement la tête, lentement pour ne pas trop souffrir. « T'es pitoyable. S'attaquer à une pauvre pétasse... T'as besoin de détruire tout ce que j'ai pour m'atteindre ? Mais ouvre les yeux, t'es même pas foutu de me faire chialer. » En fait, il était mort à l'intérieur. Il releva le visage et soutint son regard, provocateur. « Mais je suis là, putain, je t'attends. Alors, prouve-moi que tu as des couilles, détache-moi et bats-toi, tapette. » Si en défiant ainsi Orphan il parvenait à sauver Laëstiel, alors il n'aurait plus rien à craindre. Il avait perdu de toute façon.

Il regardait Orphan, le visage blanc, sentant ses forces et son courage lentement l'abandonner. « Arrête... » Peut-être faisait-il pitié à voir le jeune homme, mais ne pouvait plus s'empêcher de le supplier. Il étouffa un cri dans le fond de sa gorge lorsque la lame du couteau lui transperça la chair avant de s'en retirer, tout aussi rapidement. N'ayant pas vu le coup venir, Seth se tordit de douleur, mais ne parvenait plus à réfléchir convenablement, à trouver les bons mots, les bonnes insultes, la force et le courage de tirer sur ses chaînes et se débattre, encore. « Putain, mais y a plus d'espoir.. ! Y a plus rien ! » Il hurlait, encore, la voix brisée, le souffle court, haletant de colère. « Tu m'as tout pris, t'as gagné !.. C'est ça que tu veux, non ?! Alors je t'en supplie, laisse-la en dehors de ça... » 1. Cela résonna dans son esprit, sans qu'il ne puisse rien y faire. « Orphan ! » 2. Il avait tellement mal. « Tu es satisfait maintenant... » Les larmes glissaient le long de ses joues rouges et gonflées, sans qu'il ne cherche plus à les retenir. Seth gardait les poings serrés malgré la douleur, prêt à encaisser n'importe quoi pour garder la rouquine en vie. Elle n'avait rien à voir là-dedans, il aurait voulu lui hurler à quel point il était désolé. « Tu as gagné putain... » Il baissa le visage, épuisé. « T'as... gagné. » Mais jamais il ne cesserait de se rebeller. Jamais.

Le jeune Seth avait honte. Tellement honte. Il se trouvait pitoyable, ridicule, misérable et méprisable. Quelque part, Orphan avait raison, personne ne pouvait l'aider. Personne ne pourrait jamais l'aider. Il avait toujours été complètement seul et s'était toujours entêté à le rester. Ce soir, cette nuit, il payait cher sa misérable vie. Quand Orphan vint l'embrasser, il cessa de respirer et se crispa. Il le détestait. C'était même pire que ça. Il continuait de l'humilier sans aucune gêne. C'était un jeu pour lui ? « Enfoiré... » Il n'avait même plus l'envie de le crier et ne faisait que murmurer, la voix brisée. Adieu ses affaires. Adieu son ancienne vie. Adieu Seth. Il voulait crever, juste crever. Le dernier coup qu'Orphan lui colla le sonna définitivement. Il ne sombra pas dans l'inconscience, mais n'était plus vraiment apte à se défendre. L'avait-il été ne serait-ce qu'une fois d'ailleurs ? « T'inquiètes pas... je t'oublierai pas, Orphan... » Ça non, il n'oublierait jamais ça. Il n’oublierait pas la sensation du sang sur sa peau, des larmes sur ses joues. Il n'oublierait jamais cette sensation d'être humain. Affreusement humain.